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Another Lazy Artist

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Après des études en école d’art dont elle sort honorablement diplômée d’un DNSEP en 2011, et devenue depuis 2007 maman d’un charmant bambin qu’elle élève seule, celle qui n’était pas encore devenue l’artiste paresseuse se frotte aux contingences de la majorité de femmes cantonnées sous le seuil de pauvreté : elle court pendant cinq années derrière des CDD qui ne durent jamais plus de trois mois mais lui permettent de rester dans le champ de l’art contemporain, au contact des œuvres et des artistes, sans se revendiquer elle-même de ce statut car elle n’a pas de chambre à soi* : elle vit les premiers temps dans une seule pièce avec son fils, une pièce qui est tout à la fois leur salon-cuisine-bureau-chambre d’enfant mais ne fera donc pas, par dessus le marché, office d’atelier. Elle renonce donc à sa pratique artistique qui aurait dû consister à créer des œuvres et à entrer dans l’arène du marché de l’art pour les écouler. Elle s’épanouit heureusement dans l’invisibilité du métier qu’elle exerce et dans lequel elle a fini par accumuler une expérience et développer des compétences accréditées par les structures renommées qui l’emploient. Elle parvient ainsi à stabiliser sa situation professionnelle et économique mais se trouve bientôt rattrapée par des troubles de santé qui lui imposent de longs temps de repos alitée et un ralentissement implacable de son rythme quotidien.
Une amie lui envoie alors une ritournelle composée avec son compagnon non-francophone, les paroles en sont donc très simples et évoquent en une mélopée nonchalante la fatigue des êtres et du monde. Cette chansonnette vient lui remémorer un appel à projet lancé par la Biennale de Paris plusieurs années auparavant, qu’elle avait vu passer au détour d’une page internet puis oublié ; cet appel à candidatures disait : « Expliquez pourquoi en tant qu’artiste, vous avez décidé de ne plus produire d’œuvres. »
Elle a alors pensé qu’elle aurait matière à répondre à cette question, avec du recul, et qu’il était hors de question de retourner dans l’arène, hors de question de continuer à envisager la vie comme un combat sans fin, hors de question de continuer à jouer ce jeu de rivalité, de concurrence à l’efficacité et la productivité, pour un modèle social et professionnel qui rend si peu à ceux qui lui sacrifient tant.
Ainsi, le 3 janvier, en 2020, l’artiste paresseuse était née et l’on sait à quel point ce qui advint dans les mois suivants allait apporter de l’eau à son moulin, laissant la meunière continuer à dormir paisiblement…

1. Dans « Une chambre à soi », 1929, Virginia Woolf développe son point de vue selon lequel une femme doit au moins disposer « de quelque argent et d’une chambre à soi » si elle veut produire une œuvre (romanesque).